Chaque année, le 15 avril, la région méditerranéenne célébrera une nouvelle journée officielle consacrée aux Aires Spécialement Protégées d'Importance Méditerranéenne (ASPIM, SPAMI en anglais). L'institution de la SPAMI Day est une initiative du Plan d'action pour la Méditerranée du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE/PAM) et du SPA/RAC, le Centre d'activités régionales pour les aires spécialement protégées du PNUE/PAM, basé en Tunisie. Pour nous parler de la genèse et de l’importance de le Liste des ASPIM, nous avons posé trois questions à M. Lucien Chabason, conseiller à l’Institut du développement durable et des relations internationales et Coordinateur du PAM de 1994 à 2003.
Q1/ A un moment où tous les acteurs autour des ASPIM s'apprêtent à se retrouver à Monaco, pourriez-vous nous éclairer sur le contexte de la création de la Liste des ASPIM ?
LC : Le contexte était d'abord un contexte mondial avec une très grande relance de la politique internationale de l'environnement, suite à la Conférence de Rio en 1992 et l'adoption des principes du développement durable. Ces principes ont ensuite été repris dans un contexte méditerranéen. La Conférence des Parties de la Convention de Barcelone qui s'était réunie à Antalya en 1993 a demandé que l'on commence à réviser la Convention de Barcelone pour l'aligner sur l'Agenda 21 adopté à Rio. Elle a demandé également que l'on actualise le Protocole relatif aux Aires Spécialement Protégées qui était déjà en vigueur. Le texte de ce protocole a été révisé en 1994.
Il y avait une idée d'avoir une liste d'exception, une liste de sites exceptionnels en Méditerranée, qui venait certainement du succès de la Convention du patrimoine mondial. Nous avions un très bon inventaire qui avait été fait par le SPA/RAC et, en particulier, une liste de biens de valeur exceptionnelle et une idée très exacte des sites remarquables de la Méditerranée, d’un point de vue biologique.
Q2/ Y avait-t-il une raison particulière pour la création de la Liste des ASPIM ?
LC : Les principales raisons sont écologiques mais il y a aussi des raisons juridiques. La mer est divisée en espaces politiques : la mer territoriale, les zones économiques exclusives quand il y en a et la haute mer, alors que l'écologie ne connaît pas de frontières. C'était d'ailleurs un slogan de l'époque. C'est particulièrement vrai en Méditerranée pour les espèces migratrices comme les tortues marines et les mammifères marins qui circulent d'un pays à l'autre en franchissant les différentes zones. Je donne ces deux exemples parce qu'ils sont significatifs d'un patrimoine dont la protection ne doit pas tenir compte des frontières politiques. A l'époque, l'ensemble des pays avaient établi des limites des mers territoriales de douze miles, à l'exception de la mer Egée qui en était encore à six miles. Ainsi, la mer Égée par exemple, qui est extrêmement riche, était presque entièrement sous le régime de la haute mer, au-delà des juridictions nationales.
Le contexte était très favorable parce que la Convention de Barcelone couvre la totalité de la Méditerranée, ce qui n'était pas le cas des autres conventions régionales, à l'exception d'OSPAR. La Convention de Barcelone est compétente pour l'ensemble des pays et il n'y avait pas de raison de limiter l'établissement des Aires spécialement protégées à la mer territoriale.
Pour les ASPIM, tout était une question de process, c'est-à-dire comment les établir et qui en serait responsable. Le principe d’établir des Aires spécialement protégées d’importance méditerranéenne y compris en haute mer, a été adopté à l’unanimité.
Q3/ Pensez-vous qu’en ces moments d'urgence écologique et de tensions internationales, les ASPIM peuvent être des bouées auxquelles on s'accroche pour avancer, pour trouver un point commun entre toutes ces nations, de tous ces peuples autour de la Méditerranée ?
LC : Est-ce que la protection de la biodiversité marine est à l'abri de ces tensions et peut être un espace de coopération ? Je crois que oui. Je le vois dans la décision qui a été prise par les parties à la dernière COP d’Antalya, de proposer conjointement une zone de réduction de la pollution atmosphérique par les bateaux. C’est une décision commune et c’est très positif. Cela prouve que sur un sujet qui est important, les pays ont confiance dans le PAM qui reste à l'abri des tensions politiques. Ces mêmes États l’ont toujours tenu à l'abri des controverses politiques et des enjeux stratégiques et il faut continuer comme cela y compris à l'échelle globale, dans le cadre du PNUE.
Bien entendu, je ne me fais pas trop d'illusions. Il est évident que la coopération internationale pour la protection de l'environnement est ralentie actuellement et que la méfiance se réinstalle un peu. On le voit dans le cadre de la Convention climat et de la négociation post Aichi mais je crois que la Convention de Barcelone est pour le moment à l'abri et qu’elle continue de servir de plate-forme pour la coopération. J'aimerais vraiment qu'on propose plus d'ASPIM transnationales, c'est-à-dire proposées par deux ou plusieurs pays, en particulier en mer Egée.
Il reste aussi les zones de préoccupations, comme la protection des sites de reproduction des tortues marines, des sites de ponte. C’est un enjeu fortement symbolique pour le PAM au même titre que la protection effective des herbiers de posidonie. J’ai une grande confiance dans la capacité du PAM à mener ces actions de protection.
Cover photo: Karaburun Sazan ©AdZM Vlore